Pierre Ier
dit Pierre le Grand

Tsar et Empereur
de Russie
Règne de 1682 à 1725


PROCES DU TSAREVITCH ALEXIS PETROVITCH

Alexis Petrovitch, né en 1690, premier fils de Pierre le Grand, issu du premier mariage avec Eudoxie, avait reçu son prénom en hommage à son grand-père Alexis Michaëlovitch. Il vivra isolé du monde, n'ayant comme compagnons (un peu forcé) le fils de Lefort et Nicéphore Viazemski  un précepteur pédant et stupide qui le qualifie de "brillant Porphyrogénète et fruit béni des reins impériaux"... Jusqu'à l'âge de neuf ans il aura cependant l'affection très tendre de sa mère bigote voire superstitieuse et surtout affolée par les réformes du tsar,  et l'affection de son grand-père maternel Abraham Lopoukhine. Mais après les procès des streltsy , Pierre enferma son épouse au couvent laissant son fils en proie aux intrigues de la cour de Moscou. 

Pierre est un père trop occupé et trop impatient pour se charger de l'éducation d'un enfant qui lui garde rancune et devient de plus en plus indocile. Menchikov devient le Maître de Cour d'Alexis. Un temps éduqué par le Baron Von Huyssen, le tsarévitch revient sous la coupe de Viazemski et sousla direction morale du pope Jakof Ignatiev. Ce dernier l'exhorte à lui obéir autant qu'à Dieu et lui pardonnera toutes les résistances contre son père "comme tout le clergé". Un autre individu, Alexandre Kikine, un valet chassé de l'entourage de Pierre, encouragera sa paresse et lui apprendra la débauche et les beuveries.

Espérant en faire un militaire, son père le fait servir comme bombardier à la campagne de 1703 et il participera ainsi à la prise de Narva. Mais Alexis n'aime ni l'armée ni la guerre et il devient aux yeux du clergé, etdes nombreux opposants aux réformes, le symbole du retour à la tradition.
En 1707, Pierre lui fait une scène terrible parce que le jeune homme est allé rendre visité à sa mère au couvent de Souzdal :
"Si le vent emporte mes paroles, si tu ne veux pas m'obéir, je ne reconnaîtrai pas pour mon fils et je prierai Dieu de te punir dans ce monde et dans l'Autre..."
En 1709, le tsar décide d'envoyer son fils à Dresde afin d'apprendre le français, l'allemand ainsi que la géométrie et l'art des fortifications. Alexis rechignant ne partira qu'au printemps 1710. Mais là encore il passe son temps en beuveries en compagnie de servantes accueillantes.
 

En octobre 1711 il est marié par la force politique àCharlotte-Christine de Brunswick-Wolfenbüttel (ci-contreà droite) que l'on décrit comme "longue et plate, levisage grêlé" mais charmante, douce et rêveuse. Lemariage est chaotique : des périodes de tendresses entrecoupéesde fuite d'Alexis et son refuge dans l'ivrognerie. Charlotte est restéeluthérienne et Alexis un orthodoxe fanatique qu'entoure désormaisune cour de tous les opposants au tsar. 
En 1714, Charlotte accouche d'unefille et son mari s'exhibe avec une maîtresse officielle, une servefinnoise, Euphrosine. Là encore le fils provoque le pèrejusque dans la copie des amours ancillaires.
En 1715, Charlotte met un second enfant au monde, un fils nommé Pierre. Elle mourra de suites de ses couches, mais ne dit-t-on pas qu'Alexis la frappait alors qu'elle était enceinte?
Une rumeur tenace, courut dans les milieux européens : Charlotte ne serait pas morte mais ayant fait mettre le corps d'une jeune femme à sa place, elle aurait ainsi fuit son mari et ce pays qui ruinait sa vie morale et physique...
L'empire a donc un second héritier, et un troisième lorsque un mois plus tard Catherine accouche d'un fils nommé lui aussi Pierre.

Les relations entre Pierre et son fils se dégradent de plus en plus. Pierre lui écrit une lettre de sommation : 
"Tu ne veux rien faire ni rien apprendre; une fois au pouvoir, tu seras obligé de te faire donner la becquée comme un petit oiseau[...] Je ne ménage ni ma vie, ni celle d'aucun de mes sujets; je n'entends pas faire exception pour toi. Tu t'amenderas et tu feras en sorte d'être utile à l'état, sinon tu seras déshérité..."

Conseillé par son entourage, Alexis lui propose alors de seretirer à la campagne et de laisser à son jeune demi-frère encore dans les langes, l'héritage du trône. Pierre se donne jusqu'en 1716 pour réfléchir mais revient à la charge et donne le choix : régner ou se faire moine. Pour Alexis le monastère signifie "oubliettes"... Mais comme lui dira un de ses compagnons, faisant allusion aux moeurs très libres de certains ecclésiastiques : "Le Klobouk (bonnet du moine) n'est pas attaché au crâne avec un clou!". Sa décision semble alors prise, il sera moine...

Toujours "conseillé" par son entourage, Alexis feint de partir rejoindre son père à Riga, emmène Euphrosine, quelques valets dévoués et 1200 roubles. Il cherche en fait à se réfugier à Vienne où on lui a promisprotection et rentes.
Pierre lance un peu tardivement à sa recherche Viéssélovski, Roumiantsoff et Tolstoï  qui le retrouveront un an plus tard. 
Commencent alors des pressionssur le tsarévitch pour qu'il revienne de son plein gré,puis devant son entêtement, des pressions informelles mais sérieusesincitent l'empereur Charles VI à abandonner la protection du tsarévitch.

Alexis fuit encore : le Tyrol, puis Naples au château de Saint Elme. Les limiers le rattrapent et discutent denouveau, l'assurant du pardon paternel. Ils achètent l'abandon d'Euphrosineet le vice-roi de Naples, pressé de se débarrasser de l'hôteencombrant fait également  pression sur Alexis. Devant la volontédéterminée de son fils d'épouser Euphrosine enceinte,Pierre accepte le mariage. Alexis fléchit et revient presque confiantà Moscou en janvier 1718 (Euphrosine n'arrivera à St Pétersbourgqu'en mai).

Le prince Gagarine écrira àun ami : "Ce fou revient ici se faire enterrer et non marier!".

Le 14 février 1718, Pierre reçoit son fils en audience et devant ses manifestations de remords, lui promet le pardon à condition qu'il renonce au trône et qu'il lui explique ce qui s'est passé avant et pendant sa fuite. Pressé de questions par son père, Alexis terrorisé dénoncera les membres de son entourage, sa propre mère et quelques boyards. Il redira les mêmes accusations à la cathédrale de la Dormition, devant les Saintes Ecritures. 
Le tsar fait publier le manifeste suivant : "Emu de pitié dans Notre coeur paternel, Nous lui pardonnons et l'exemptons de tout châtiment, mais Nous ne pouvons en conscience lui laisser l'héritage du trône de Russie[...]".

On remet à Alexis un questionnaire précédé de cet avertissement paternel : "Attendu que tu n'as reçu ton pardon qu'à la condition de confesser toutes les circonstances de ta fuite et de tout ce qui a précédé, si tu tais quelque chose, tu seras puni de mort[...]" Cinquante personnes seront ainsi dénoncées par le tsarévitch.

Le juge chargé de l'enquête, découvre que l'ex-tsarine Eudoxie est loin de mener une vie de moniale recluse. Elle vit avec une petite cour en habits "civils" et a même un amant, Stéphane Glébov. Il sera torturé et empalé. La torture et la mort seront infligées à nombres de moniales, ainsi quà Dolgorouki, Afanassieff et le prince Stcheratov. Le métropolite Dossiphé sera mortellement roué de coups.
A son retour Euphrosine est enfermée et interrogé par Pierre lui-même et ne songeant qu'à sauver sa tête, elleraconte tous les faits et gestes d'Alexis. Elle n'apporte rien de nouveaumais aggrave tout ce qu'elle sait. Elle donne même au tsar le brouillond'une lettre dans laquelle le tsarévitch dénonce l'attitudede son père tant envers lui-même qu'envers le peuple russe. 

Alexis subit alors des "auditions" ressemblant à s'y méprendre à des tortures. Pierre désigne une haute cour de justice de 127 personnes et assistera lui-même aux supplices de son fils qui finit par avouer tout et n'importe quoi.

Le 24 juin, la cour condamne à mort Alexis Petrovitch. Le 26 juin 1718 le tsarévitch est retrouvé mort dans son cachot.

La version officielle est une crise d'apoplexie à la suite du verdict. On exposa donc à l'église de La Trinité le corps du malheureux pendant huit jours "afin qu'on put juger qu'il était mort naturellement" dès le 28 juin. 
Mais bientôt de rumeurs courent : le résident impérial Pleyer prétend qu'il a été décapité et une demoiselle Krahmer affirme avoir recousu la tête et caché la suture par une large cravate. Le général Weyde aurait fait préparer une "potion" particulière. Une lettre d'Alexis Roumiantsoff raconte que Tolstoï, Ouchakoff et lui-même auraient étouffé le tsarévitch sous des coussins.
Lefort raconte, lui, que le condamné serait mort sous le knout dont son père aurait porté les premiers coups.

Le 29 juin, Menchikoff note dans son journal : "Fête de sa Majesté. Lancement du vaisseau le Liesna. Sa Majesté a assisté à la cérémonie avec tous les ministres. On s'y est fort diverti."
Le 1er août, de Revel, Pierre écrira à Catherine qu'il a découvert en outre qu'Alexis complotait avec Charles XII, le roi de Suède. 
A la fin de cette année1718, il fera frapper une médaille où la couronne impériale élevée dans les airs est illuminée de rayons de soleil traversant un nuage avec en dessous l'inscription "L'horizon s'est éclairci"...

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©Marie Deriglazoff-2012