LE SITE Les russes du XVIIIe ne voyaient que des inconvénients à la situation de la nouvelle capitale. Outre le fait que c'était une "ville-frontière" sur un territoire depuis peu hors de dangers, le paysage était désolant :aucune forêt touffue, un paysage plat, un immense marais boueuxmais gelé par un hiver sans fin, une lumière blanchâtre,des saisons inexistantes : quelques jours de printemps et d'automne! Ajoutonsà ce portrait peu avenant : des inondations terribles provoquéespar les vents violents venant du golfe de Finlande refoulant la mer dansles eaux de la Néva...
Mais là où certains ne voient que le "triomphe du despotisme impérial", les historiens semblent s'accorder sur le fait que ce défit fou à la nature (comme Versailles!) présentaient les avantages militaires et commerciaux nécessaires à l'ouverture de la Russie.
LES AVANTAGES MILITAIRES
De tous temps les russes durent se frayer un long chemin vers la mer ("La route des Varègues aux Grecs")mais désormais les turcs barraient la voie du sud et les danoistinrent longtemps la Baltique. La seule issue restante était uneMer Blanche gelée la moitié de l'année.
En 1702, après la défaite des suédois à Narva, Piere Ier s'empare d'une petite forteresse suédoise au débouché du lac Ladoga, qu'il nomme Schlüsselburg : ville-clé. La même année, il fait construire la forteresse de Pieterburg (à la hollandaise) sur une île du delta de la Néva, protégée à l'ouest par la forteresse de Kronstadt.
LES AVANTAGES COMMERCIAUX
Le trafic des marchandises pouvait continuer une grande partie de l'année grâce aux liaisons fluviales rejoignant cet accés sur la Baltique.
Par la Néva et le lac Ladoga à l'est, le Volkhov au sud, les routes liquides ou glacées selon la saison, compensaient largement le manque évident de voies terrestres carrossables. Les routes n'étaient que des fondrières, où on était souvent obligé de poser un "plancher" de pavés de bois pour faire circuler les charriots.
Pierre ne pouvait reprendre les tracés de villes russes déjà existantes puisque construites et reconstruites au fil des besoin, des incendies ou de l'installation de nouvelles populations. De ses voyages en Europe, ilavait été conquis par Amsterdam et Versailles. Dans un premier temps l'île d'Ostrov (ou île Basile) fut choisie comme centre de la future capitale, et découpée en canaux rectilignes afin de drainer les marécages et de servir de quais aux bateaux. On y construisit le bâtiment des "Douze-collèges" destiné à abriter l'administration. Sur la rive sud de la Néva s'établit le quartier industriel avec des chantiers navals. Les travaux commencés en 1715 par l'architecte hollandais J-B Homann, furent poursuivis après 1717, par le français Leblond s'attachant à concilier les exigences militaires de Pierre avec l'hyhiène et l'esthétisme. Rapidement on réalisa que le principal inconvénient et non le moindre, de ce centre ville réparti sur trois îles, résidait dans sa difficulté d'accès en période de formation ou de fonte des glaces : d'immensesblocs dérivaient sur le fleuve rendant la traversée dangeureusevoire impossible. On transféra donc le centre-ville sur la rive sud de la Néva et la forteresse devenue inutile devint une prison d'état. Le quartier destiné à l'industrie devint alors un quartier résidentiel : on y implanta le palaisd'hiver et les nobles reçurent l'ordre de faire construire autourleurs résidences personnelles. | La forteresse Pierre et Paul de nos jour La fonte des glaces - Photo du XIXe |
| Cette nouvelle implantation qualifiée de "versaillaise" comprenait principalement trois grandes avenues (prospekt) en éventail convergeant vers l'Amirauté. La plus célèbre et la plus grande est la "Nevsky Prospekt" conduisant au monastère Saintt-Alexandre-Nevsky, du nom du vainqueur d'une bataille sur la Néva contre les suédois en 1240. Pierre fit également construire le palais de Peterhof, avec un jardin d'été et une série de bassins et fontaines lui rappelant les splendeurs de Versailles. Avant tout il fit bâtir en priorité un petit palais au bord de la mer : Monplaisir, dont le plan fut dessiné par lui et la construction supervisée par l'allemand Braunstein. ci-contre : l'Amirauté au XVIIIe |
Certes la construction et le peuplement de cette nouvelle ville n'allât pas sans difficultés et oppositions de toutes natures.Dans un oukase de 1714 on interdit sur tout le territoire sous peine d'amende, toutes les constructions en pierre, en briques et bien entendu en bois à cause des incendies. Les maçons et charpentiers russes convergèrent donc vers St Pétersbourg pour trouver du travail.
Chaque navire et chaque charette arrivant sur le site devait joindre à son chargement quelqu'il soit, un lot conséquent de briques. Quand aux nobles, boyards et hauts fonctionnaires, c'est uniquement sur ordre et en rechignant qu'ils vinrent avec leurs familles sur les bords de la Néva. Ils durent faire construire leurs demeures en briques ou en pierres en fonction du nombre d'âmes (serfs) dont ils étaient propriétaires et du montant de leur fortune. Les commerçants et artisans furent soumis à des règles strictes sur leur implantation : on créa des rues des cannoniers, des fondeurs ou des tapissiers et une rue de la noblesse :la Dvorianskaïa. Si au niveau architectural la ville devenait progressivement une merveille, au niveau humain on pourrrait lucidement laqualifier de cimetière.
La mortalité au sein des moujiks, enrôlés de force, et des prisonniers suédois, fut sans précédent : on compte au moins 150 000 morts dus à la dysentrie, au manque de ravitaillement et aux intempéries (on manquait de maisons pour les loger).
Le polonais Mickiewicz décrit crument les faits :
" D'abord, dans ces vases mouvantes, le tsar fit enfoncer cent mille pilotis avec les cadavres de cent mille paysans. Puis, ayant établi sur ces pilotis et ces cadavres un terrain solide, il attela d'autres générations au tombereau."
Les jardins d'été dessinés par Pierre | Les fontaines de Peterhoff rappelant Versailles |