LE PERRON ROUGE A la mort de Fédor III, son demi-frère Pierre, âgé de 10 ans, est proclamétsar et sa mère régente, le 27 avril 1682. Sa demi-soeur aînée Sophie fomente alors un complot avec l'aide de la famille sa mère, les Miloslavsky et surtout du corps des Streltsy (régiment d'archers fondé par Yvan IV). Si elle ne peut règner, du moins sera-t-elle régente pour son jeune frère Yvan, faible d'esprit certes mais issu comme elle du premier mariage du tsar Alexis Mikhaïlovitch. Le Beau Perron A cette époque, les palais des tsars dans l'enceinte du Kremlinde Moscou, tiennent à la fois du monastère et de la caserne. Et outre les écclésiastiques et les soldats, on y trouve une foule grouillante de boyards avec leur famille, de valets, des mendiants, et toutes sortes de petits marchands ambulants. A l'intérieur sous des voutes basses, richement décorées de fresques aux couleurs éclatantes, se trament les intrigues. Le palais principal est accessible par un gigantesqueperron. Comme dans toutes les habitations de ce pays rude, on surélève le premier niveau des pièces d'habitation pour échapperà la hauteur de la neige et au froid. Innovation architecturale pour l'époque on l'anommé le "beau perron" : le même mot en russe signifiant "beau"et "rouge" (krasnoïé). | Le Perron Rouge au Kremlin | Les Streltsy Corps d'archers lors de sa création par Yvan IV "Grosny" , ces hommes libres, soldats de pères en fils reçoivent de l'état soldes, privilèges et autorisation de faire commerce selon leurs convenances en temps de paix. En 1682, on comptait vingt régiments, de millehommes chacun, répartis sur le territoire russe. Mais la majoritése trouvait dans les faubourgs de Moscou qu' ils étaient aussi chargés de protéger contre les incendies. Leurs soldes est plusieurs fois supérieures àcelles des autres corps d'armée; ils discutent librement de politique et parfois se révoltent contre leurs chefs qu'ils accusent de "puiser dans la caisse"...Un de leur chef Simon Griboïédoff en payera le prix fort : il reçut les verges sur les bras et le jambes durant de longues heures. Autrefois Boris Godounov leur dût son accessionau trône, le tsar Alexis vit la reprise de Smolensk grâce àeux et ils défendirent Tchiguirine contre les Turcs sous le règne récent de Fédor III. Le temps de paix ne leur convient guère : ils s'ennuient, ont trop de temps pour réfléchir et se laisser également manipuler pour qui leur promet un statut et des avantages supérieurs à ceux qu'ils possèdent déjà. | Streltsy | La Rumeur et La Révolte Au début du mois de mai 1682, une rumeur court : les Narychkine auraient empoisonnéle tsar Fédor III et maltraiteraient le jeune Yvan. On raconte également qu'un homme (vêtu comme les gens au service des Narychkine) et protégé par ses compagnons, aurait molesté une femme de streltsy. Les streltsy sont déjàprêts à la révolte mais Yvan Miloslavski les calme car le but de Sophie est d'attendre le retour d'exil de Matvéïev, protecteur de la dernière tsarine Natalia Narychkina, afin de l'écarter définitivement. Quand Artamon Matveïev est enfin de retour, les conjurés faisant courir le bruit qu'Yvan est mort, lâchent 19 régiments de streltsy, ivresde la boisson dispensée largement par les agents de Sophie, commeon lâche une meute de chiens survoltés. Ils envahissent leKremlin et se retrouvent devant le fameux "beau perron" où apparaît Natalia dans l'espoir de les calmer. Elle tient la main de Pierre et d'Yvan. Sont présents à ses côtés Matvéïev, Michaël Dolgorouki (chef officiel des streltsy), le patriarche Joaquim et les principaux boyards du zemski sobor (conseil). Les mutins sont stupéfaits de voir vivant le tsarévitch Yvan et ils demandent : "C'est bien toi, Seigneur? - Oui, répond l' adolescent paniqué, - T'a-t-on fait du mal? - Aucunement..." Profitant du flottement dans les troupes, Matveïev les exhorte à la fidélité,au sens du devoir qui fût toujours le leur envers le tsar. Le patriarche Joaquim lui aussi les raisonne au nom de Dieu en leur démontrant qu'on les a trompés. | Gravure de l'époque montrant les massacres sur le Perron Rouge | Les choses auraient pu en rester là, et les soldats seraient retournés à leurs occupations diverses si Michaël Dolgorouki n'avait cru bon de s'en mêler. Il décide d'humilier ses troupes et les consigne dans leurs quartiers avec des sanctions prévues pour les meneurs. Haïde ses hommes, le prince est jetté à bas du perron et assassinéà coups de piques. Les streltsy apporteront ses restes à son père qui sera tué à son tour... Puis le carnage se poursuit par le meurtre de Matvéïev qui est arraché des bras même de la tsarine Natalia. Devant les yeux des deux enfants (Yvan 16 ans et Pierre 10 ans) va commencer alors un carnage terrible : les streltsy pénètrent dans les pièces du palais et égorgent tous ceux qu'ilssoupçonnent d'être du parti hostile au tsarévitch Yvan : Athanase Kirillovitch Narychkine, son frère YvanThéodore qui se livrera et dont on arrachera des mains une icône qu'il portait, Yasykov ancien ministre favori de Fédor III, leprince Grégoire Romodanovski, l'ancien secrétaire de Fédor: Ilarion Yvanoff, et le médecin allemand Gaden accuséd'avoir empoisonné Fédor et qui sous l'intensité destortures avouera ce crime imaginaire... Pendant trois jours ivres de sang et d'alcool, les révoltés vont massacrer, torturer et mutiler tous ceux qui semblent du parti des familles Narychkine et Matvéïev. Ils vont également piller les palais et les maisons des boyards, brûler les archives nationales, des églises, les icônes familiales des partisans et libérer les criminels des prisons. Sous l'influence de Sophie, une fois calmés, ils exigent du Conseil des Boyards la désignation d'Yvan commeco-tsar avec droit de préséance sur Pierre. Utilisant la terreur des streltsy, Sophie, une fois nommée régente, pour les remercier, leur accordera une prime de 10 roubles à chacun et fera élever à leur gloire une colonne commémorative sur la Place Rouge "Pour la Sainte Mère de Dieu et pour les Tsars". Pierre à 10 ans a vu toutes ces tueries; il a perdu presque tous les soutiens mâles de sa famille et le tuteur de sa mère; il a entendu les tortures sous les fenêtres du palais, et sentit l'odeur des corps en décomposition sur la Place Rouge. On dit que les tics nerveux et les violents maux de tête dont il souffrira toute sa vie, étaient la conséquence de ces terreurs. Il n'oubliera jamais ce cauchemard éveillé et 16 ans après, il exterminera implacablement les assassins de sa famille avec au moins autant de cruauté à leur égard que celle qu'ils avaient eu sur le "Beau Perron" devenu le "Perron Rouge". | Assassinat du prince Michaël Dolgorouki Un des Narychkine tente de se cacher sous une table. | |