Saint Père Théophore 
NICODEME
 líhagiogiorite 
 

27/07 - 14/07
 


 
 
Cet astre brillant de l'Église s'est levé, en 1749, dans l'île de Naxos de l'archipel des Cyclades. Ses parents, pieux et craignant Dieu, lui donnèrent le nom de Nicolas au Saint Baptême et le confièrent au prêtre du village pour apprendre à lire. Contrairement aux autres enfants, il s'éloignait des jeux turbulents pour s'adonner constamment à la lecture. Il avait été doté par Dieu non seulement d'une vive intelligence mais aussi d'une mémoire exceptionnelle, qui lui permettait d'enregistrer immédiatement tout ce qu'il lisait et de le répéter sans faille quand il le voulait. Envoyé à Smyrne, à l'âge de seize ans, pour y suivre l'enseignement du didascale Hiérothée à l'École Évangélique, il se fit aimer de tous, maître et condisciples, pour sa douceur et le raffinement de ses moeurs. Outre les Lettres profanes et les diverses disciplines des sciences sacrées, il apprit le latin, le français et devint maître dans la connaissance du grec ancien, ce qui lui permit de remplir la mission que Dieu lui avait préparée: rendre accessible au peuple grec orthodoxe opprimé les trésors de la Tradition de l'Église.

Après quatre ans d'études à Smyrne, comme les Turcs massacraient les Grecs de la région à la suite de la campagne russe, il fut contraint de retourner dans sa patrie, Naxos. Il y rencontra les moines Grégoire, Niphon et Arsène, exilés de la Sainte Montagne à cause de la controverse des "Collyves", qui suscitèrent en lui l'amour de la vie monastique, et l'initièrent à la pratique de l'ascèse et de la prière intérieure. Informé par eux que vivait à Hydra un homme de vertu éminente, versé dans la doctrine des Pères de l'Église: le Métropolite Macaire de Corinthe, Nicolas s'y rendit, tel le cerf altéré de la source des eaux, et il trouva auprès du Saint Hiérarque une pleine communion de pensée et d'aspiration en ce qui concernait la nécessité urgente d'éditer et de traduire les sources de la tradition ecclésiastique. Il y fit aussi connaissance du célèbre ermite Silvestre de Césarée, qui vivait dans une cellule isolée à peu de distance de la ville. Ce saint homme lui fit un éloge si brûlant des délices de la vie solitaire que Nicolas décida de ne plus tarder davantage pour prendre le joug doux et suave du Christ, et, c'est muni de lettres de recommandation de Silvestre, qu'il s'embarqua pour le Mont Athos (1775).

Il entra d'abord au monastère de Dionysiou, où il revêtit rapidement l'Habit monastique sous le nom de Nicodème. Nommé secrétaire et lecteur, il devint bientôt le modèle de tous les frères, aussi bien dans les services, qu'il accomplissait avec une obéissance sans murmure, que dans le zèle pour la prière et l'ascèse. Il se tendait chaque jour en avant, soumettant la chair à l'esprit et se préparant ainsi aux combats de la vie hésychaste. Deux années s'étaient écoulées quand Saint Macaire de Corinthe, en visite à la Sainte Montagne, chargea Nicodème de la révision et de la préparation pour l'édition de la Philocalie, cette encyclopédie orthodoxe de la prière et de la vie spirituelle. Le jeune moine se retira dans un kelion à Karyès, pour accomplir cette tâche digne des maîtres de l'hésychasme les plus avancés et qui exigeait une connaissance approfondie de la science de l'âme. Il fit de même pour l'Évergétinos et pour le Traité sur la Communion fréquente, rédigé par Saint Macaire, mais qu'il enrichit considérablement. Une fois cette oeuvre achevée, il rentra à Dionysiou; mais la fréquentation des Pères de la Philocalie, comme l'exercice intense de la Prière de Jésus, lui avaient donné le goût de s'y consacrer plus complètement. Ayant entendu parler de Saint Païssy Velitchkovsky, qui guidait un millier de moines en Moldavie dans cette sainte activité de l'intelligence tournée vers le coeur, il tenta de le rejoindre. Mais, par la providence de Dieu, une tempête l'empêcha d'atteindre son but. De retour au Mont Athos et brûlant du désir de se consacrer à la prière dans la quiétude, il ne retourna pas à Dionysiou, mais se retira dans une cellule proche de Karyès, puis à la skite de Kapsala, dépendance du monastère du Pantocrator, dans un ermitage dédié à Saint-Athanase, où il recopiait des manuscrits pour subvenir à ses besoins. Pouvant s'adonner là, nuit et jour, sans distractions, à la prière et à la méditation des Saints Pères, il gravit rapidement les degrés de l'Échelle spirituelle. Après peu de temps, le Saint vieillard Arsène du Péloponnèse, qu'il avait connu à Naxos, put rentrer à l'Athos et vint s'installer dans la skite. Nicodème renonça alors de bon gré à sa solitude, pour profiter des bienfaits de l'obéissance, et devint son disciple. Ils avaient à peine achevé la construction d'une nouvelle cellule que, troublés dans leur quiétude, ils décidèrent de se retirer dans l'île déserte et aride de Skyropoula, en face d'Eubée (l782). Mais, devant les difficultés de subsistance, Arsène partit pour un autre endroit, laissant Nicodème seul. Cest là, qu'à la requête de son cousin, l'Evêque Hiérothée d'Euripos, le Saint rédigea son chef-d'oeuvre: Le Manuel de bons conseils, sur la garde des sens et des pensées, et sur l'activité de l'intelligence. Âgé de trente-deux ans seulement, privé de livres et de notes, et n'ayant pour ressource que le trésor de son immense mémoire et son entretien continuel avec Dieu, il exposa dans cet ouvrage un condensé de toute la doctrine spirituelle des Pères, illustré d'un nombre impressionnant de citations, accompagnées de leurs références exactes. Il y enseigne comment délivrer l'intelligence de son enchaînement aux plaisirs des sens, afin de lui permettre de s'élever, par la prière intérieure (ou "prière du coeur"), aux "plaisirs"' spirituels de la contemplation. Pendant ce séjour dans l'île déserte, le Saint affronta de violentes attaques des démons, qui cherchaient à l'en chasser. Mais alors que dans sa jeunesse de nature craintive, il n'osait dormir la porte fermée, quand par la suite les esprits des ténèbres venaient chuchoter à la fenêtre, il ne relevait la tête de son livre que pour rire de leurs impuissantes entreprises.

Après un an passé à Skyropoula, il retourna à l'Athos, y reçut le Grand-Habit et acquit le kellion de Saint-Théonas à Kapsala. Il accepta de recevoir un disciple, Hiérothée, et se consacra plus que jamais à l'écriture et à l'enseignement des frères qui venaient s'installer dans les environs pour tirer profit de sa science.

A l'occasion d'un nouveau séjour sur la Sainte Montagne, Saint Macaire lui confia le soin d'éditer la traduction des oeuvres complètes de Saint Syméon le Nouveau Théologien. Dans l'introduction à cet ouvrage, qui contient de si profonds enseignements sur la contemplation, Saint Nicodème précise que de tels livres ne sont pas faits seulement pour les moines, mais aussi pour les laïcs, car tous les Chrétiens ont été appelés à vivre la perfection de l'Évangile. Il rédigea ensuite un Manuel du Confesseur et rassembla en un recueil unique, selon les huit tons et pour chaque jour de la semaine, les canons à la Mère de Dieu chantés à la fin des Vêpres ou aux Complies dans les Monastères. Outre de nombreuses autres compositions liturgiques, il publia alors deux ouvrages, adaptés de fameux livres spirituels occidentaux: Le Combat invisible de Lorenzo Scuppoli (l589) et les Exercices spirituels, qui ont connu, jusqu'à nos jours, un succès qui ne se dément pas. Loin d'être de simples traductions, ces ouvrages ont été profondément remaniés et adaptés par le Saint hésychaste, qui y inséra un enseignement irréprochable sur le repentir, l'ascèse et la Prière de Jésus. Entre-temps, le livre sur la Communion fréquente avait créé de violentes réactions parmi les moines qui défendaient l'habitude, contraire aux Saints Canons et aux traditions apostoliques, de ne communier que trois ou quatre fois par an. Accusé d'hérésie novatrice, le livre fut condamné par le Patriarche Procope. Mais, dès l'installation de Néophyte VII (1789), l'interdit fut levé et les Collyvades se trouvèrent reconnus comme les justes défenseurs de la Tradition. De grossières et ridicules calomnies continuèrent cependant de circuler dans certains milieux monastiques contre Saint Nicodème, allant jusqu'à l'accuser de cacher la Sainte Communion dans son skouphos afin de pouvoir communier en marchant. Mais le Saint préférait garder le silence, n'attendant que de Dieu sa justification, et il versait des larmes pour la conversion de ceux qui se trouvaient dans l'erreur à propos de la commémoration des défunts le dimanche.

Le Hiéromoine Agapios du Péloponnèse était venu au Mont Athos pour proposer à Saint Nicodème de reprendre et traduire un recueil des Saints Canons quil avait préparé, en l'amplifiant de commentaires. Le saint, pour qui la vie et la discipline de l'Eglise étaient plus précieuses que sa propre vie, se mit au travail avec acharnement, rassemblant quatre calligraphes pour achever en temps opportun ce recueil indispensable, qu'il appela "le Gouvernail" (Pédalion). Il travailla, jour et nuit, pendant plus de deux ans, compilant, corrigeant les textes faussés ou contradictoires, mettant en parallèle les Canons des Conciles, des Pères et les décrets de la législation byzantine, et surtout enrichissant l'ouvrage d'un nombre impressionnant de notes qui procurent les critères assurés de l'application de ses Canons à la vie de l'Eglise. Une fois achevé et envoyé à Constantinople, l'ouvrage attendit longtemps la bénédiction patriarcale, puis fut transmis au Hiéromoine Théodoret, qui se trouvait en Roumanie, pour être édité grâce à une souscription de tous les moines athonites. Mais ce dernier, adversaire des Collyvades et de la communion fréquente, introduisit des corrections de son cru dans le Pédalion, trahissant ainsi la pensée de l'auteur et la tradition de l'Eglise. Quand le livre, paru à Leipzig en 1800, parvint à la connaissance du Saint, il en fut profondément affligé et s'écria: « Il aurait mieux fait de me frapper en plein coeur avec un glaive, plutôt que d'ajouter ou de retrancher quoi que ce fût à ce livre! »

Vers la même époque, on lui annonça que le manuscrit des oeuvres complètes de Saint Grégoire Palamas, qu'à la demande de Saint Athanase de Paros et du Métropolite Léon d'Héliopolis Saint Nicodème avait rassemblées à grand peine et annotées, avait été saisi chez son imprimeur à Vienne et détruit par les Autrichiens à la recherche de messages de propagande révolutionnaire adressés par Napoléon Bonaparte aux Grecs. Cette nouvelle ajouta à sa détresse et lui fit verser des torrents de larmes, non seulement pour le temps dépensé à ce travail irremplaçable, mais surtout pour la perte d'un tel trésor.

Après être resté quelque temps, en compagnie de Silvestre de Césarée, dans la cellule de Saint-Basile, où avait jadis vécu Saint Théophile le Myroblite, Nicodème reprit la vie solitaire et continua son oeuvre apostolique. Vêtu de haillons et chaussé de grossiers sabots, il se considérait comme le dernier de tous. Il ne cuisinait jamais et se nourrissait de riz bouilli ou de miel dilué dans de l'eau, qu'il accompagnait de quelques olives et de haricots détrempés. Quand une faim pressante le harcelait, il se rendait chez des voisins pour participer au repas; mais, le plus souvent, entraîné dans la discussion, il en oubliait de manger. On ne lui connaissait guère que deux activités: la prière et l'étude. A quelque heure du jour ou de la nuit, on le trouvait soit penché sur un livre ou sur son écritoire, soit le menton incliné vers la partie supérieure de la poitrine, afin d'y faire descendre son intelligence au plus profond de son coeur et d'y invoquer avec ardeur le Saint Nom de Jésus. Il était devenu tout entier "prière", et c'était par cette union intime au Christ que la grâce divine avait déposé en son cúur tout le trésor de l'Eglise. Quand il écrivait, il était si absorbé par son sujet, qu'un jour, un moine lui ayant rendu visite et l'ayant trouvé au travail, lui mit un morceau de pain frais dans la bouche. Quand il repassa le soir, il trouva le Saint dans la même position, le morceau de pain à la bouche, comme s'il n'avait rien remarqué.

Il rédigea alors un vaste commentaire des Épîtres de Saint Paul, d'après Saint Théophylacte de Bulgarie, ainsi que celui des Épîtres Catholiques, composa également un commentaire des neuf odes scripturaires intitulé le Jardin de la Grâce, et traduisit le commentaire des Psaumes d'Euthyme Zigabinos. Comme dans toutes ses autres oeuvres, Saint Nicodème dépassait de loin la tâche d'un simple traducteur. Prenant pour base et fil directeur un commentateur traditionnel, il le complétait par des notes abondantes, pleines de témoignages des autres Pères de l'Église sur quantité de sujets. Source inépuisable, il édita également un choix de vies de Saints anciens (Néon Eklogion) et le Nouveau Martyrologe: recueil des vies des nouveaux-Martyrs, destiné à soutenir la foi des Chrétiens opprimés sous le joug ottoman, et grâce auquel nombre d'apostats purent se convertir et rejoindre la glorieuse phalange des Martyrs. Toujours soucieux de l'éducation du peuple de Dieu, il composa aussi un Manuel de Bonnes Moeurs chrétiennes (Christoètheia), admirable condensé des enseignements moraux de Saint Jean Chrysostome.

Quotidiennement, tous ceux qui avaient été blessés par le péché ou l'apostasie, négligeant les Evêques et les confesseurs, accouraient vers l'ascète de Kapsala pour trouver remède et consolation de l'âme. Et non seulement des moines, mais aussi des laïcs venus de loin, de sorte que le Saint se plaignait de ne pouvoir s'adonner comme il le voulait à la prière et souhaitait gagner de nouveau un lieu désert et inconnu. Mais la maladie l'empêcha de réaliser ce projet. N'étant âgé que de cinquante-sept ans, mais épuisé par l'ascèse et ses travaux d'édition, qui suffiraient à remplir une bibliothèque, il fut atteint d'une telle faiblesse que même un surcroît de nourriture ne pouvait y remédier. Il quitta alors son ermitage de Kapsala pour vivre quelque temps dans le kellion de ses amis Skourtaïoi à Karyès puis chez un de leurs voisins, moine iconographe. C'est alors qu'il rédigea, au prix de deux ans de travail, le Synaxaire. Il retourna ensuite dans son kellion de Kapsala, où il rédigea son très riche commentaire des canons des fêtes (Eortodromion) et celui des anavathmoi (Néa Klimax) chantés le dimanche à l'Orthros . Il acheva ce dernier ouvrage, dans lequel apparaît toute sa science théologique et sa sève spirituelle, alors qu'il était accablé par l'anémie, avait perdu ses dents et était devenu presque sourd (1808). De nouvelles calomnies étant parvenues à faire condamner injustement Athanase de Paros et trois autres Collyvades par le Patriarche Grégoire V, Saint Nicodème ne put prendre leur défense, et il se contenta de rédiger une Confession de foi. Son état de santé d'ailleurs ne tarda pas à empirer. Ayant mis une dernière main à son commentaire des Anavathmoi, il déclara: « Seigneur, retire-moi. Je suis las de ce monde! » De jour en jour l'hémiplégie gagnait tous ses membres. Il répétait à voix haute la Prière de Jésus, s'excusant auprès des frères de ne pouvoir la garder en secret. Après s'être confessé et avoir reçu la Sainte Communion, il prit en ses mains les Reliques de Saint Macaire de Corinthe et de Parthénios Skourtaios, et les baisant avec larmes, il dit: « Vous êtes partis vers le ciel et vous vous reposez des vertus que vous avez cultivées sur la terre, goûtant déjà la gloire de Notre Seigneur. Moi, je souffre à cause de mes péchés. Aussi, vous qui êtes mes Pères, je vous supplie d'intercéder pour moi auprès du Seigneur, pour qu'Il ait pitié de moi et me rende digne du lieu où vous vous trouvez. » Pendant la nuit, il s'écria: « Je meure, je meure, apportez-moi la Sainte Communion! » Après avoir communié, il trouva un calme extraordinaire et, croisant les mains sur sa poitrine, il répondit aux moines qui lui demandaient s'il était en repos: « J'ai fait entrer le Christ en moi, comment ne serais-je pas en repos? ». Au lever du jour, le 14 juillet 1809, il remit son âme au Seigneur. Un des assistants s'écria: « Il aurait mieux valu que mille Chrétiens meurent aujourd'hui plutôt que Nicodème! » Mais si l'astre s'est caché, ses rayons n'ont pas cessé d'éclairer l'Église, et ses livres restent une source inépuisable d'enseignement, de consolation et d'exhortation à la plénitude de la vie en Christ.