SAINT SABBAS
l'Hésychaste
 

18 octobre / 5 octobre


 
 
Saint Sabas l'Hésychaste vit le jour vers 1283 à Thessalonique. Ses parents le préparait à une carrière militaire; mais, comprenant la vanité de cette vie terrestre, dès l'âge de 17 ans, il s'enfuit sans rien prendre avec lui vers la Sainte Montagne de l'Athos, recherchant d'une âme altérée par la soif de Dieu un ancien rude et austère qui pourrait le guider sur la voie assurée de l'obéissance et de l'humilité. Ayant trouvé près de Karyès un tel maître dans la Science des sciences, il s'engagea avec ferveur dans le combat ascétique, en buvant avec délice, comme un breuvage d'immortalité, les injures, les moqueries et même les coups de son père spirituel. La faim, la soif et toute sorte de privations étaient pour lui le moyen de complèter dans son corps les souffrances du Christ. Son renoncement complet, en toute occasion, à sa volonté propre le rendait si disponible à la volonté de Dieu et le délivrait si bien de tout souci de ce monde que, devenu comme transparent à la présence de Dieu, le calme et la paix de son âme se reflétaient dans toute son apparence extérieure et le rendait aimable et attirant pour tous. La douceur et l'amour fraternel lui étaient devenus si naturels qu'un jour, comme il cheminait lourdement chargé avec un autre moine, il prit sur lui le sac de son compagnon fatigué, et comme celui-ci tardait encore, il le chargea lui-même sur ses épaules. Finalement, son ancien, admirant l'obéissance et l'humilité de son disciple, lui proposa le Sacerdoce; mais Sabas s'enfuit en secret le jour même de l'Ordination et ne revint que lorsqu'il fut assuré qu'il pourrait demeurer privé de tout honneur.

Au bout de sept ans, sous le règne de l'empereur Andronique Paléologue, les pillages commis sur l'Athos par la «Compagnie Catalane» entranèrent la fuite de nombreux moines. L'ancien de Sabas décida de se réfugier à Thessalonique, mais le jeune moine refusa de le suivre, de peur de se trouver là exposé aux tentations du monde qu'il avait quitté. Bien lui en prit d'ailleurs, car peu de temps après les Turcs assiégèrent la ville, en empêchant tout espoir de refuge. Réduit ainsi à la vie solitaire, Sabas décida d'entreprendre un pélerinage aux Lieux Saints. Parvenu en Chypre, l'âme dévorée par l'amour divin, il entreprit de s'engager, avec l'aide de Dieu, sur la voie ardue et périlleuse de la folie simulée pour le Christ. Se dépouillant de ses vêtements, vivant dans un complet détachement de toute chose de ce monde, sans toit, inconnu et méprisé des hommes, il s'offrait ainsi comme une victime innocente à la dérision, aux moqueries, aux injures, à l'imitation du Christ en Sa Passion. Il allait ainsi de lieu en lieu, sans jamais demander l'aumône, ne se nourrissant que d'herbes sauvages et s'isolant de temps en temps dans un lieu désert ou dans une grotte pour se livrer à la pure contemplation. Comme il le révéla plus tard à son disciple, cette voie de la mort volontaire au monde par la folie simulée, déconseillée par prudence par beaucoup de Saints Pères, n'est possible et ne porte des fruits que pour ceux qui savent garder dans leurs excentricités une très stricte vigilance sur eux-mêmes au moyen du silence. C'est pourquoi pendant les vingt ans de sa Sainte folie Saint Sabas garda scrupuleusement un complet silence, concentrant en toute occasion son attention sur le combat intérieur des pensées. Ce silence n'impliquait cependant en lui aucune dureté ou refermement égoïste sur soi; il était au contraire toujours souriant et affable envers tous ceux qu'il rencontrait, qu'ils soient bons ou méchants.

Comme un jour une femme admirait sa belle prestance, il se jeta jusqu'au soir dans une fosse à purin. Partout où il se rendait, il s'efforçait d'attirer le mépris et l'avanie; comme pour prendre sur lui toute la haine des hommes et en purifier le monde, à l'imitation du Christ et des Martyrs qui priaient pour leurs bourreaux. Une autre fois, comme il s'était présenté à la porte d'un monastère latin de l'île, les moines bien nantis, voyant cet ascète vagabond, l'injurièrent et le jetèrent dehors, en le rouant de coups. Alors qu'il gisait à terre tout meurtri, une lumière divine, surgie de son intellect (nous) qui se tenait sans cesse tendu vers Dieu par la prière silencieuse, se répandit sur son corps et le guérit miraculeusement, en lui donnant ainsi pour la première fois un gage de l'incorruptibilité promise aux Saints dans le Royaume de Dieu. Il reprit sans tarder son mode de vie errante. Mais, comme il avait concédé à un bienfaiteur d'ouvrir la bouche pour lui révéler son nom, la population comprit alors qu'il contrefaisait volontairement la folie. On commença à l'admirer, à l'honorer, à venir demander ses prières, à peindre même son icône et à le vénérer comme un Saint. Malgré tous ses efforts pour fuir l'estime des hommes, la renommée de Sabas s'étendit jusqu'à Constantinople et au Mont Athos. Il décida alors de fuir et se rendit en Terre Sainte. De Jérusalem il marcha pendant vingt jours dans le désert jusqu'au monastère du Mont Sinaï, où il resta pendant deux ans comme simple novice. Puis, de retour à Jérusalem, il établit sa résidence dans une grotte du désert du Jourdain, où il se consacrait en permanence à la prière pure qui unit l'âme à Dieu. Un démon se rua un jour sur lui sous la forme d'un redoutable serpent, mais Sabas le repoussa par l'invocation du Nom de notre Seigneur Jésus-Christ, sans se laisser aucunement distraire dans sa prière. Cette victoire sur le démon lui ouvrit l'accès à la Grâce de la déification. La même Lumière divine qui avait jadis resplendi du Corps du Christ au sommet du Thabor, en faisant jouir les trois Saints Apôtres d'une part mesurée de la gloire de Dieu, illumina soudain la grotte. Tombant à terre et délivré de toute activité naturelle des sens, Sabas contempla alors des yeux de son esprit transfigurés par l'EspritSaint le Christ Lui-même dans Sa Gloire, Gloire et Lumière qui n'est autre que le Royaume des Cieux déjà accessible en partie ici-bas. Devenu «dieu» par la Grâce, Saint Sabas pouvait voir Dieu tel qu'Il est, en gage de la vie éternelle.

Bien qu'il s'efforçât de cacher cette grâce, sa renommée attirait de toute part des moines désireux d'entendre une parole d'édification spirituelle, mais aucun d'entre eux ne parvint à lui faire rompre son saint silence. Il s'enfuit de nouveau dans le désert, nu et sans nourriture, en quête d'une communion plus parfaite avec Dieu seul. Au bout de cinquante jours de marche, il tomba à terre épuisé et sans aucun espoir de secours humain. C'est alors que Dieu lui envoya, entouré de lumière et d'un céleste parfum, un Ange qui le réconforta et le prit dès lors sous sa protection. La Lumière éblouissante de la Gloire du Christ devint désormais tout pour lui: nourriture, vêtement, santé, repos... La Grâce de Dieu unie à son âme se répandait sur son corps et le faisait participer à l'incorruptibilité divine, dans la mesure même de l'union naturelle de son corps et de son âme. Il resta ainsi pendant quatre ans dans le désert, en jouissant comme un Ange dans un corps de l'illumination divine, protégé par son Ange de toutes les embuches des démons.

Il se rendit ensuite au Monastère de Saint Sabas, pour y vivre en reclus. De l'extérieur les moines pouvaient entendre le vacarme et les cris provoqués par les démons, mais l'impassible Homme de Dieu restait imperturbable, plongé en permanence dans la contemplation. Un jour les démons se précipitèrent sur lui et le jetèrent la tête la première dans un gouffre profond. Soutenu par son Ange, le Saint se retrouva sur ses pieds, indemne, et resta là en extase, debout et immobile, les mains levées vers le ciel, sans manger ni boire ni dormir pendant quarante jours. De quelles révélations ne fut-il pas alors le témoin, tel Moïse au sommet du Sinaï! Enlevé en esprit au-dessus du ciel et des Ordres Angéliques, baigné de lumière et de gloire divine, il parvint jusqu'à la Source de toute lumière, Notre Seigneur Jésus-Christ. La vision de Dieu étant devenue union intime et personnelle avec le Christ, il s'entretenait désormais avec Dieu comme avec un Ami, dans l'assurance qu'il était devenu «fils de Dieu» selon la Grâce, sans être aucunement gêné par son corps mortel. Quand les moines vinrent finalement le tirer de ce gouffre, il revint de cette extase et, de retour dans sa cellule, il redoubla de ferveur dans les combats ascétiques. Ne se nourrissant que d'un peu de pain sec et d'eau, il resta une année entière étendu sans bouger sur un côté; puis il passa une autre année assis immobile sur un tabouret. Plus la Grâce le rendait semblable à Dieu, plus il s'enfonçait dans l'abîme de l'humilité; c'est pourquoi au bout de trois ans de tels exploits, il quitta Saint-Sabas et demanda à être reçu comme novice dans un cénobion sur les rives du Jourdain. Il reçut là l'obédience de sacristain et ses vertus étaient l'objet de l'admiration des autres moines qui ignoraient ses expériences antérieures. Après avoir été élevé jusqu'au sommet de la contemplation le Saint redescendait ainsi vers la vie commune. Son humilité était telle qu'il s'offrit un jour en pâture à des lions qui s'étaient précipités sur les ânes du monastère. Les fauves s'arrêtèrent brusquement dans leur élan et rentrèrent la tête basse dans leur tanière.

Son Ange lui apparut alors, en lui ordonnant de quitter la Terre Sainte pour rentrer en terre byzantine et profiter à de nombreuses âmes. Reprenant lentement la route de Constantinople, il séjourna pendant quatre ans dans les solitudes de l'île de Crète, en demeurant perpétuellement debout, sans jamais s'allonger. Puis, après être passé dans le Péloponnèse, en Macédoine et en Thrace, il parvint à Constantinople et s'enferma dans une cellule au Monastère de Saint-Diomède, refusant toute visite, le visage constamment recouvert de son koukoulion («voile»). L'empereur Andronique II et le Patriarche Isaïe, informés de sa présence de cet homme Théophore, tentèrent sans succès de le rencontrer. Comme certains avaient mis en question son orthodoxie, il se contenta d'écrire une confession de foi et une déclaration de fidélité à l'empereur et au Patriarche, puis il s'enfuit vers l'Athos et demanda d'être reçu comme simple moine à Vatopédi. C'est là qu'il fit connaissance de son disciple et biographe, Saint Philothée (mémoire le 11 octobre) et qu'il rompit son silence de vingt ans. Simultanément sacristain, infirmier et réfectorier, il s'efforçait de garder ses vertus et les grâces qu'il avait reçues de Dieu, et il refusait tout honneur ou toute responsabilité qu'on voulait lui confier, de peur d'être privé ainsi de la grâce que procurent l'humble soumission. Il dut cependant accepter de prendre part à la mission athonite envoyée en mars 1341 à Constantinople, dans le but de réconcilier Jean V Paléologue et Jean Cantacuzène et de mettre ainsi fin à la guerre civile qui divisait cruellement l'empire affaibli. Ayant prophétisé l'échec de cette mission, Saint Sabas se retira comme reclus au Monastère de Chora, où il passa les six dernières années de sa vie dans la prière et les larmes pour la paix du monde et de l'Eglise alors troublée par les enseignements hérétiques d'Akyndinos et du Patriarche Jean Calecas sur la nature de la Grâce divine2. Malgré les pressions et la visite de l'empereur Jean V Cantacuzène, en vue de l'élever à la Dignité Patriarcale ou tout au moins de lui faire accepter l'Ordination Episcopale, le Saint resta inflexible pour garder jusqu'à fin la sainte quiétude et la douceur de l'entretien secret avec Dieu. Il s'endormit paisiblement, pour s'unir de manière définitive avec son Bien-Aimé, en 1350. C'est sur son conseil que l'empereur décida quelque temps plus tard de devenir moine, ainsi que son épouse.