CHRONIQUE DE NESTOR


Ambassades de Vladimir
chez les Bulgares, les Allemands
et les Grecs [pour comparer les religions]
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Année 6495.
Vladimir appela ses boïars et le conseil de la ville et dit : “Voici que les Bulgares sont venus à moi en disant : Reçois notre loi. Ensuite sont venus les Allemands et ils ont fait l'éloge de leur loi. Après eux les Juifs sont venus. Et enfin les Grecs sont venus, blâmant toutes les religions, mais louant la leur, et ils ont longuement parlé de la création du monde, de l'histoire du monde entier, et ils parlent avec esprit; c'est merveille et plaisir de les entendre; et ils disent qu'il y a un autre monde. Ils disent : Celui qui reçoit notre foi, ne mourra jamais pour l'éternité; mais s'il reçoit une autre foi, il brûlera dans l'autre monde au milieu des flammes. Quel est votre avis et que dites-vous de cela?”

Les boïars et le conseil dirent : “Tu sais, prince, que personnene blâme ce qui est à lui, mais qu'au contraire chacun le loue. Si tu veux t'éclairer avec soin, envoie quelques-uns de tes hommes étudier les différents cultes et voir comment chacun honore Dieu.”
Et ce discours plut au prince et à tout le monde; on choisit des hommes sages et éclairés au nombre de dix et on leur dit :“Allez d'abord chez les Bulgares et éludiez leur foi et leur culte.”
Ils partirent et virent des actions infâmes et le culte comme ils le font dans leurs mosquées, et ils retournèrent dans leurpays.

Vladimir leur dit : “Allez maintenant chez les Allemands, et observezde même, et ensuite vous irez chez les Grecs.” Ils allèrentdonc chez les Allemands et, après avoir observé chez eux leservice divin, ils allèrent à Constantinople et vinrent trouverl'empereur.

L'empereur leur demanda ce qui les amenait; ils lui racontèrent tout ce qui s'était passé. L'empereur apprenant cela fut joyeux et il leur fit beaucoup d'honneur ce jour-là. Le lendemain il envoya un message au patriarche disant : “Il est venu des Russes pour étudier notre foi; prépare l'église et ton clergé, revêts ton costume pontifical afin qu'ils voient la gloire de notre Dieu.” Alors le patriarche appela son clergé; on célébra les solennités suivant l'usage, on brûla de l'encens, et on chanta des chœurs. Et l'empereur alla avec les Russes à l'église, et on les fit placer dans un endroit spacieux; puis on leur montra les beautés de l'église, les chants et le service de l'archiérée, le ministère des diacres, en leur expliquant l'office divin.
Pleins d'étonnement ils admirèrent et louèrent ce service. Et les empereurs Basile et Constantin les appelèrent et leurdirent : “Allez dans votre pays,”et ils les congédièrent avecde grands présents et avec honneur.

Quand ils revinrent dans leur pays, le prince appela les boïars et les anciens. “Voici que les hommes envoyés par nous sont revenus:écoutons ce qu'ils ont appris.” Et il leur dit : “Dites devant nousoù vous avez été et ce que vous avez vu.”
Ils dirent : “Nous avons été d'abord chez les Bulgares et nous avons observé comment ils adorent dans leurs temples; ils setiennent debout sans ceinture; ils s'inclinent, s'asseyent, regardent çà et là comme des possédés, et il n'y a pas de joie parmi eux, mais une tristesse et une puanteur affreuses. Leur religion n'est pas bonne. Et nous sommes allés chez les Allemands, et nous les avons vus célébrer leur service dans l'église et nous n'avons rien vu de beau. Et nous sommes allés en Grèce et on nous a conduits là où ils adorent leur Dieu, et nous ne savions plus si nous étions dans le ciel ou sur la terre; car il n'y a pas de tel spectacle sur la terre, ni de telle beauté. Nous ne sommes pas capables de le raconter; mais nous savons seulement que c'est là que Dieu habite au milieu des hommes; et leur office est plus merveilleux que dans les autres pays. Nous n'oublierons jamais sa beauté; car tout homme, lorsqu'il a goûté quelque chose de doux, ne peut ensuite supporter l'amertume. Aussi nous ne pouvons plus vivre ici.”

Les boïars répliquèrent : “Si la religion grecque était mauvaise, ta grand'mère Olga, qui était la plus sage de tous les hommes, ne l'aurait point reçue.” Vladimir répondit : “Oùdonc recevrons-nous le baptême?” Ils répondirent : “Oùil te plaira. »

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