Saint Gaugeric, appelé
saint Gèry, et chez les Flamands saint Guric, naquit dans le diocèse
de Trèves à Yvoie, aujourd'hui Carignan, chef-lieu de canton
du département des Ardernnes. Il eut pour père Gaudence,
et pour mère Austadiole, personnages d'une haute vertu. Ses parents
le firent élever sous leurs yeux dans la connaissance des lettres
et dans la pratique de la vertu. Il s'accoutuma de bonne heure aux veilles
et à la prière ; il aimait aussi, dès son enfance,
à soulager la misère des pauvres. L'éducation qu'il
reçut dans la maison paternelle le préserva de la corruption
qui n'est que trop commune parmi les jeunes gens; et tandis que ceux de
son âge avalaient le poison du vice sous prétexte de se former
aux sciences et aux manières du monde, il sut conserver le précieux
trésor de son innocence.
Saint Magnéric, successeur de saint
Nicétas sur le siège de Trèves, étant venu
à Yvoie, eut l'occasion d'y connaître Géry. Il fut
si charmé de ses talents et de sa vertu qu'il l'ordonna diacre.
Alors Géry redoubla de ferveur dans la pratique des bonnes oeuvres.
Il s'appliqua avec un zèle infatigable à remplir les devoirs
de son état et surtout à instruire les fidèles.
La réputation de son savoir et de sa
sainteté attira sur lui l'attention de toutes les Eglises des environs
: aussi, à la mort de saint Vaast, évéque de Cambrai
et d'Arras, quelques notables habitants se rendirent auprès de Childebert
II, et le prièrent de leur donner Géry pour pasteur. La douleur
du pieux Magnéric fut grande, à cette nouvelle; on lui ravissait
celui qu'il espérait devoir un jour lui succéder. Toutefois,
il se rendit à la demande royale, qu'il regardait comme l'expression
de la volonté du Ciel, et son bien-aimé disciple dut aller
à Reims, auprès de Gilles, métropolitain de la province,
pour être ordonné prêtre et recevoir l'onction épiscopale.
Le nouveau prélat s'empressa, aussitôt après, de se
rendre au milieu de son troupeau.
A son entrée dans la ville de Cambrai,
au moment où l'évêque traversait, au milieu de la foule,
les rues qui conduisaient à l'église, des cris de douleur
et de supplication retentirent à ses oreilles. Saint Géry
s'arrête aussitôt, et demandant la cause de ces lamentations,
il apprend qu'elles viennent des maisons publiques, où 12 criminels,
condamnés à mort, le suppliaient d'avoir pitié de
leur sort et d'obtenir leur pardon. L'évêque se tournant aussitôt
vers Wado ou Gaud, gouverneur de la ville, qui marchait à ses côtés,
lui demanda de faire grâce à ces prisonniers et de les confier
à sa charité pastorale. Wado refusa; alors l'évêque,
plein de confiance en Dieu, le supplia de lui accorder ce que la justice
des hommes lui refusait. Quelques instants après, au moment où
saint Géry entrait dans l'église, les prisonniers, rendus
à la liberté, par un effet de la puissance divine, y accouraient
en présence de tout le peuple. Telle fut, parmi les nombreux évêques
qui faisaient alors la gloire de l'église des Francs, la digne et
pieuse figure de saint Géry ; mais il y a dans sa vie un caractère
particulier, qui le distingue entre tous : "C'est que jamais en sa présence
ou à sa connaissance, la prison et les fers ne purent retenir des
malheureux". Ce miracle lui est particulier avec beaucoup d'autres saints
évêques.
C'était surtout du haut de la chaire
sacrée qu'il aimait à se faire entendre de ses ouailles,
se mettant pour ainsi dire à la portée de toutes les intelligences
et relevant par une douce gravité et une expression bienveillante
la simplicité de son discours. "Or", continue l'auteur de ses Actes,
"saint Céry parlait volontiers de l'amour de Dieu et du prochain,
de l'observation des commandements du Seigneur, de la prière fréquente
et des règles d'une vie sainte. Il expliquait les cérémonies
usitées dans la célébration des sacrés mystères
et des sacrements. Il entretenait encore ses auditeurs de l'importance
de la religion, de la justice, de la paix, de la longanimité, du
pardon des ennemis et du soulagement des pauvres, du soin avec lequel on
doit entretenir les vertus Chrétiennes dans son âme, de la
méditation des fins dernières et du désir des biens
célestes et éternels".
C'est par ses instructions et la bénigne
influence de ses exemples que saint Géry opérait, au milieu
de son peuple, de nombreuses conversions. "Les hommes violents devenaient
doux, les superbes pratiquaient l'humilité, les voluptueux la continence,
les irascibles la charité fraternelle, les avares apprenaient la
charilé, et les intempérants mettaient un terme à
leurs excès», et ainsi les âmes se formaient peu à
peu aux suaves vertus du Christianisme.
Dès les premières années
de son séjour à Cambrai, saint Géry avait remarqué
sur la colline qui domine la ville du côté de l'Orient un
de ces bois touffus dans lesquels les païens avaient coutume d'aller
adorer leurs idoles. Les traditions du pays et des débris encore
subsistants attestaient cette ancienne destination d'un lieu qui était
devenu comme un repaire de voleurs. On l'appelait Bublemont ou le Mont-des-Boeufs.
C'est là que le vénérable évêque bâtit
une maison de prière et plaça une communauté de religieux,
auxquels il donna pour abbé son frère Lando. C'est le premier
monastère qui ait été érigé dans la
contrée. Saint Géry le dédia à saint-Médard
et à saint Loup, dont il portait toujours sur lui quelques reliques,
et il y choisit lui-même un endroit pour sa sépulture. La
suite de sa vie nous montre qu'il eut des rapports assez intimes avec le
roi Clotaire II. Il serait difficile d'en indiquer l'origine; mais on peut
supposer que les vertus et les oeuvres de l'évêque de Cambrai
avaient attiré sur lui l'attention d'un monarque si favorable au
clergé. Clotaire donc, soit qu'il visitât saint Géry
en parcourant les provinces, soit qu'il l'appelât au palais, aimait
à entendre ses exhortations, et à son exemple, les grands
de la cour l'honoraient de toute leur affection. "Lui, de son côté,
les entretenait du mépris du monde, de la crainte du jugement, de
la gloire des Saints et de l'éternité du bonheur des justes.
Tous ses discours respiraient Jésus-Christ, et ses sentiments étaient
des sentiments de paix et de piété".
Un jour entre autres, notre bienheureux s'était
rendu à la maison royale de Chelles pour prendre soin, dit le biographe,
de la vie des misérables. Au moment où il se trouvait près
du monarque, il apprit que deux jeunes hommes, détenus dans la prison
par les ordres du seigneur Landri, devaient, le lendemain, expier par leur
mort les crimes qu'ils avaient commis. A cette nouvelle il se sentit le
coeur attendri, et abordant avec respect le noble leude, il le supplia,
par l'amour de Jésus-Christ, de faire grâce à ces malfaiteurs
et de les lui confier, afin qu'il les remît dans la bonne voie qu'ils
avaient eu le malheur de quitter. Landri restant sourd à ces prières,
le saint évêque appela les disciples qui l'accompagnaient
et alla avec eux réciter des prières, toute la nuit, dans
une église voisine. Le matin, les prisonniers miraculeusement délivrés
accouraient à l'église pour remercier Dieu et son digne ministre,
lui promettant qu'ils allaient purifier leur conscience et mener une vie
nouvelle. Quelques instants après, Landri lui-même entrait
dans l'église pour y faire sa prière, et, frappé de
ce qu'il avait sous les yeux, il ratifiait par une parole de pardon la
délivrance des 2 condamnés.
Ce fait, qui eut beaucoup de retentissement
à la cour, inspira au roi Clotaire II une bienveillance plus grande
encore pour le saint évêque de Cambrai; tellement, qu'au dire
des historiens du temps, il le constitua un des distributeurs particuliers
de ses aumônes. En cette circonstance surtout des dons considérables
lui furent accordés, pour qu'il pût satisfaire son désir
de soulager les pauvres. Aussi le voit-on, dans le pélerinage qu'il
fit au tombeau de saint Martin en quittant la demeure royale, répandre
des largesses partout sur son passage. Au moment où, entouré
de la foule du peuple, il approchait de la ville de Tours, un mendiant,
aveugle depuis 30 ans et conduit par un autre pauvre, vint se jeter à
ses genoux en le conjurant de lui rendre la vue. A ce spectacle saint Géry
fut ému de compassion, et mettant sa confiance dans le Seigneur,
il fit le signe de la Croix sur l'aveugle, en prononçant d'une voix
haute cette prière : "O tout-puissant Jésus-Christ, lumière
du monde, vous qui avez autrefois daigné ouvrir les yeux d'un aveugle-né,
guérissez aussi cet homme, votre serviteur, de son infirmité,
et rendez-lui, dans votre bonté, la lumière qu'il désire,
afin qu'en voyant cette guérison, les Chrétiens vous rendent
gloire par leur reconnaissance". A peine ces paroles étaient-elles
achevées que l'aveugle, poussant des cris de joie, bénissait
Dieu de lui avoir rendu la vue par la puissance de son serviteur. Ce prodige
fut promptement connu dans la ville de Tours, où les religieux du
monastère, chargés de la garde du corps de saint Martin,
reçurent le thaumaturge avec toutes sortes de témoignages
de respect. Quand il eut satisfait sa piété et distribué
aux pauvres d'abondantes aumônes, il se rendit jusqu'au pays des
anciens Pétrocoriens (Périgueux), où l'église
de Cambrai possédait des biens ; puis, après avoir réglé
les affaires qui intéressaient son cher troupeau, il visita le tombeau
de saint Front ou Fronton, apôtre de la contrée, lui rendit
ses hommages et revint plein de joie dans sa ville épiscopale.
Les courses multipliées que saint Géry
dut faire pendant son long épiscopat, avaient déjà
rendu son nom populaire dans ses 2 vastes diocèses; et les traditions
qu'a conservées la ville de Bruxelles en particulier, laissent entrevoir
bien d'autres faits de même nature, qui se passèrent dans
les plus sauvages contrées du Brabant. « Là, en effet»,
dit un auteur, « s'étendaient des régions entières
encore assises dans les ombres de la mort. Les rares habitants de ces déserts
paraissaient moins des hommes que des bêtes. A chaque pas le missionnaire
Chrétien trouvait le spectacle affligeant de l'idolâtrie la
plus grossière. Saint Géry fut probablement le premier qui
osa s'aventurer à travers ce pays sauvage. Ni dangers, ni fatigues
ne purent le rebuter. Un bâton à la main, il chemine en priant,
dans des bois sans chemins et sans habitations. Des hommes farouches se
sauvent à son approche, et ce n'est qu'à force de bienfaits
et de prodiges qu'il parvient à les attirer. Il arrive ainsi à
une petite île formée par la Senne. L'hercule Chrétien
y borna ses courses apostoliques en y élevant une petite chapelle
que le zèle des convertis changea bientôt en église.
Telle est l'humble origine de la ville de Bruxelles, aujourd'hui l'une
des plus belles cités du monde. Quatre siècles plus tard,
cette île devenait la capitale du duché de Lothaire, alors
que Charles de France venait abriter son palais à l'ombre de l'antique
église, et fixer sa résidence dans l'île de Saint-Géry
».
De peur que la multitude des affaires ne lui
fit oublier ce qu'il se devait à lui-même, et qu'en négligeant
le soin de son Salut il ne devint moins propre à procurer celui
des autres, il joignait à l'exercice de ses fonctions l'esprit de
recueillement et de prière. Il se retirait de temps en temps dans
quelque solitude pour converser avec Dieu et lui recommander tant ses besoins
que ceux des âmes qui lui avaient été confiées.
Enfin, épuisé de fatigues, il alla jouir du repos éternel
le 11 août 619. On l'enterra dans l'église qu'il avait fait
bâtir sous l'invocation de saint Médard. Cette église
ayant été démolie par Charles-Quint, qui fit construire
une citadelle sur l'emplacement, les chanoines qui la desservaient se retirèrent
dans celle de Saint-Vaast, où ils déposèrent les reliques
du Saint. Depuis ce temps elle portait le nom de Saint-Géry ; mais
cette dernière fut aussi abattue lors de la révolution. Le
vocable de Saint-Géry dut être transporté à
celle de l'ancienne abbaye de Saint-Aubert, aujourd'hui l'une des 2 paroisses
de Cambrai.
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