Art et Histoire des Icônes en Russie du Xe siècle à nos jours.

Au cours des siècles ses canons s'enrichirent tant en Grèce, avec les fameux manuels du Mont Athos (où se regroupe sur une presqu'île une vingtaine de communautés monastiques depuis le Xe siècle) qu'en Russie avec les "podlinniki".
Ce fut le Concile dit des Cent Chapitres à Moscou en 1551 qui marqua l'iconographie russe, l'émancipa de sa tutelle byzantine, et consacra le peintre Andreï Roublev.
Ne seront décrits dans cette page que quelques points importants pour la compréhension de l'art iconographique. Il existe cependant une multitude de subtilités techniques enseignées uniquement dans les ateliers sous l'égide d'un Maître lorsque l'élève a déjà de nombreuses années d'apprentissage derrière lui.

Les Dimensions
Le dessin des personnages des icônes peut sembler "rigide" à l'oeil occidental.
Les grands Maîtres de l'Iconographie composaient selon des structures géométriques pour obtenir un équilibre de la construction de l'image. Ils déterminaient le centre de l'auréole, puis de ce fait dessinaient la tête et enfin accomodaient le corps à ces premiers éléments.
Des canons différents furent ceux des manuels de peinture ou "podlinniki" russes , comme ceux des vieux croyants :
"La tête est égale à un septième de la longueur totale du corps...Du sommet du crâne au menton on compte quatre longueurs; du menton à la clavicule une longueur; de la clavicule au diaphragme trois longueurs; de là au nombril, trois longueurs; du nombril au pubis trois longueurs...Les deux bras étendus représentent, des pointes des doigts d'une main à l'autre vingt-huit longueurs de nez ..."

"Apprenez, ô mon élève, que le corps de l'homme a neuf têtes en hauteur, c'est à dire neuf mesures depuis le front jusqu'au talon. Faites d'abord la première mesure de façon à la diviser en trois parties : le front pour la première, le nez pour la seconde et la barbe pour la troisième...
Les deux yeux sont égaux l'un à l'autre et l'intervale qui les sépare est égal à un oeil. Lorsque la tête est de profil, mettez la distance de deux yeux entre l'oeil et l'oreille. L'oreille doit être égale au nez. Quand l'homme est nu, il faut quatre nez pour la moitié de sa largeur; lorsqu'il est habillé, la largeur de la poitrine est d'une mesure et demie." (Manuel d'iconographie chrétienne -Adolphe Didron- 1845)

La Perspective Inversée
Une autre caractéristique de la peinture d'icône est celle de la perspective inversée.
Dans toute composition l'artiste traditionnel reprend ce que voit son oeil : les éléments de la composition les plus loin sont les plus petits et au centre du tableau par rapport aux éléments proches qui seront dessinés plus grands et sur les côtés. Cette représentation de l'espace permet une vision en profondeur. A l'inverse dans l'iconographie, le point central est le fidèle, "le spectateur"; il est le point d'un horizon inversé et les lignes s'écartent vers le fond de l'icône. Le fidèle doit pouvoir réaliser que le monde terrestre où il se trouve est beaucoup plus "petit" que le monde spirituel qu'on offre à ses yeux
Le monde spirituel représenté s'ouvre devant le fidèle au lieu de se refermer dans une perspective linéaire.

Les Couleurs

- Rouge
Le rouge est la couleur de la chaleur et du feu régénateur.
Si elle fait penser au sang, elle l'est dans le sens positif de "vie" et non de blessure ou de destruction.
Elle est également un symbole de richesse : les éléments pour produire la pourpre (un mollusque gastéropode) étaient difficiles à récolter, très chers et donc réservés à une élite, d'où son attribution au premier représentant de l'état : l'empereur. Le manteau de l'impératrice était également de pourpre rouge. Il existe aussi une pourpre bleue : dévolue semblablement à l'empereur, elle devint la teinte de la tunique du Christ.
Le rouge a de plus, dans le monde héllénique, une signification guerrière; tel le règlement du sanctuaire de Rhodes qui sacrifiait à Hélios (le soleil) un"chevreau blanc ou rouge". Dans l'iconographie russe on trouve dès le XVIe siècle une gamme de rouge et de pourpre très étendue. L'école de Novgorod utilise le rouge dans les fond des icônes : ville de riches donateurs, ses monastères pouvaient financièrement utiliser ces pigments rares et chers.

- Bleu
La pourpre bleue est la couleur du manteau du Christ. A sa teinte foncée, les peintres russes lui préfèrèrent un bleu plus clair, plus lumineux mais tout aussi délicat à manier et aussi recherché : la poudre de lapis-lazuli. Le moine Andreï Roublev aurait utilisé ce pigment pour peindre, entre autre, les bleus de la Trinité. Le bleu est la couleur symbolique de la sagesse, rappelle la teinte du ciel (la demeure de Dieu) et donne l'impresson de passer dans un plan spirituel par rapport au plan terrestre.
Il est également utilisé par certains iconographes, comme le vert, pour contraster les plis des vêtements.

- Vert
Cette couleur symbolise la création, la végétation et la nature en général. Il est utilisé dans les icônes comme contraste avec le rouge dans les effets des drapés des vêtements, principalement ceux des martyrs dont il rehausse la notion de sacrifice de leur jeune vie pour leur foi chrétienne.

- Blanc
Il est la couleur de la divinité avant tout, révélation de la lumière. Caractéristique des icônes de la Transfiguration (Luc 9,29), il rayonne par son opposition avec des fonds plus sombres comme le bleu. Dans l'empire byzantin, les empereurs portaient des vêtements blancs lors des fêtes solennelles. Les iconographes russes l'utiliseront beaucoup tant pour souligner les drapés que pour illuminer les visages qui reflètent la lumière intérieure de ceux qui ont rencontré Dieu.

Les Personnages, leurs vêtements et leurs visages

Les visages ainsi que les vêtements sont soumis à des codes strictes. Le fidèle entrant dans une église doit pouvoir identifier immédiatement le saint qu'il veut prier. L'icône est depuis son origine une source d'enseignement, une sorte de "catéchisme en bande dessinée", car n'oublions pas que la majorité des fidèles ne sait ni lire ni écrire et ne connait la Bible que par les lectures à haute voix au cours durant la lithurgie.

Extraits du "Manuel d'iconographie grecque et latine" recueillis par A.Didron en 1845 :

"Le Deuxième Ordre des Saints Anges (surnommé Gouvernement) : Les Dominations, les Vertus, les Puissances. Elles portent des aubes allant jusqu'au pieds, des ceintures d'or et des étoles vertes. Elles tiennent de la main droite des baguettes d'or et dans la gauche un sceau. Le Troisième Ordre : Les Principautés, les Archanges, les Anges. Ceux-ci sont représentés avec des vêtements de soldats et des ceintures d'or. Ils tiennent dans leurs mains des javelots avec des haches..."

Les Saints Prophètes, leur signalement et leurs épigraphes :
Le Prophète Elie : vieillard, barbe blanche; il dit : "Vive le Seigneur, le Dieu des Puissances,
le Dieu d'Israël".
Le Prophète Jérémie : vieillard, barbe courte et rare; il dit : " Et il est arrivé que le Verbe du Seigneur m'a dit : Avant que je t'aie formé..."

Les Stylites :
Saint Siméon le Stylite : vieillard, barbe courte séparée en deux.
Daniel le Stylite : vieillard, barbe en pointe.
Saint Luc le Neostylite : cheveux gris, barbe séparée en deux.