| Le Bilan du Règne | L'Expansion du Territoire Russe L'emprise mongole définitivement éliminée, Yvan IV continua la politique d'extension menée par son père et son grand-père, par des conquêtes extérieures doublées d'une annexion à la Moscovie, de terres àl'intérieur des plaines russes. Annexion de terres nouvelles à l'est et au sud, prise de Kazan, Astrakhan, des terres basses de la Volga, de la Viatka et toutes rives de la mer Caspienne. Il encourage, en 1582, l'initiative privée de la famille Stroganov : la conquête de la Sibérie par les cosaques avec le grand chef Ermak Timofiéévitch à leur tête. Ils s'emparèrent de la capitale : Kutchum encore à l'époque sous contrôle d'un khan mongol. Plus au sud, Yvan fait fortifier les frontières contre les Tatares. Certes les tentatives de conquête vers l'ouest (Livonie) échoueront. Sa candidature au trône de Pologne fut unéchec puisque c'est le prince hongrois Etienne Bathory qui futélu et s'empressa de reprendre les villes du sud de la Livonie.Les traités de 1582 avec la Pologne et de 1583 avec la Suède,redonnèrent la paix à la Russie malgré de grandespertes et 25 années de guerres épuisantes. Outre sa garde personnelle et les opritchiniki, Yvan crée le corps des streltsy (strelat = tirer). Arquebusiers, hommes libres engagés à vie, équipés à l'européenne ils furent le artisans de la prise de Kazan. Ils recevaient un rouble pour se construire une maison, un rouble de solde annuelle, un uniforme, des armes, de la poudre et des mesures de blé. Par la suite on leur distribuera également des terres pour assurer leur vie familiale. Ils formeront désormais une caste très puissante. Onen comptait 12 000 dont 7 500 à Moscou. Organisation également d'un corps permanent d'artillerie : cannoniers, artilleurs de forteresses, grenadiers et artificiers. Ce corps comptera jusqu'à 2 000 pièces d'artillerie.On crée également des troupes du génie : architecte, forgerons, charpentiers, etc. Mais le gros des forces armées étaient les"hommes de service", recrutés en dehors des militaires habituels,ils sont peu disciplinés, mal encadrés et peu entraînés mais, même leurs ennemis louent leur tenacité, leur fierté et leur résistance. L' historien-biographe d'Yvan, K.Waliszewski précise qu'en 1578 l'armée qui combattait contre la Lithuanie comportait 39 681 hommes répartis comme suit : * Princes russes et circassiens : 212 * Boyards et enfants de boyards de Moscou : 9 200 * Hommes de service de Novgorod et deIourev : 1 109 * Tatars et Mordviens : 6 461 * Streltsy de la cour : 2 000 * Streltsy et cosaques des provinces : 13 119 * Hommes à pieds des provincesdu nord : 7 580 D'autre part le Tsar instituera un principe révolutionnaire à cette époque : l'avancement au mérite! Les commandements seront confiés à des individus reconnus pour leurscapacités et leur qualités de chefs de guerre. L'Economie et les Finances La prise de nouveaux territoire entraîna un développement économique sensible : des pêcheries sur le cours de la Volga ( 89 en 1562) , et de la mer Caspienne, le commerce des fourrures en Sibérie, les salines du littoral de la Kama et les mines de sel de la région d'Astrakhan. Les échanges internationaux se développent : concessions et échanges avec l'Angleterre (comptoirs ouverts à Moscou et à Arckhangelsk), libre passage pour les marchands suédois en échange d'une même autorisation pour les marchandsrusses (on les verra sur les bords de la Tamise et jusqu'en Espagne),exportation de blé vers la Suède et le Danemark. Ci-contre Tableau d'Alexandre Litovtchenko : Yvan IV montrant ses trésors à l'ambassadeur d'Angleterre La politique financière d'Yvan ne brille pas par son élégance : il tolère que les gouverneurs de province s'enrichissent (comme les monastères) puis leur confisque ensuite leurs acquis. Les impôts sont avant tout justifiés par les besoins nouveaux et ne tiennent jamais compte de la faculté de payer de l'asujetti! On trouve pêle-mêle : impôt général des villes, taxes sur les marchandises importées et exportées, taxes sur le sel, le poisson, le miel, les oignons, les noisettes, les traîneaux ou les chariots, fortes amendes, expropriations, etliquidation des biens saisis. Si ce Code de lois est particulièrement injuste, il interdit cependant que l'intérêt dépasse 10%,accorde des délais pour le remboursement des dettes et défendqu'un débiteur qui se livre au créancier, devienne un esclave à vie. La Réforme du Code de Lois La Russie vivait depuis le XIe siècle sous les règles de la Ruskaïa Pravda, remaniée peu ou prou au fil des règnes. Yvan proposa en 1550 une réforme très prudente et organisa surtout l'administration et la justice : les pouvoirs judiciaires sont désormais exercés par des magistrats élus, autorisation d'une "police locale", les fonctionnaires ne sont plus rémunérés par les administrés, fixation des peines (premier vol : le knout; deuxième vol : la mort). On notera cependant des réformes plus volontaireset surprenantes dans le contexte de ce règne : affranchissements des enfants nés avant l'asservissement des parents, défense aux parents de vendre leurs enfants nés hors esclavage, possibilitéaux paysans désirant se vendre comme serfs, de quitter leurs lots de terre "en toute saison". En 1562 une modification des lois de succession vint "encourager" l'extension territoriale : en l'absence d'héritiers mâles les domaines héréditaires des princes revenaient à l'état, tout comme lui revenait également les domaines de boyards sans héritiers directs ou ayant oublié de rédiger un testament. L’Eglise Certes on retient de ce règne, la splendideconception architecturale mondialement connue comme un des symbolesde la Russie : la Basilique de Saint-Basile-Le-Bienheureux. Oeuvre dedeux russes : Barma et Postnikov, à l'origine érigéepour remercier Dieu de la victoire de Kazan, elle est dédiéeinitialement àl’ "Intercession de la Vierge". Les commentaires sontà l'image de ce délire de pierres et de torsades : "sucresd'Orge", "pièce montée", d'après ThéophileGautier c'était "un immense dragon accroupi", pour d'autre "uneboite à confiture"!! Mais le tsar Yvan fit construire d'autres palais, églises et monastères. Particulièrement vers la fin de sa vie, en repentir de son geste meurtrier envers son fils, il couvritles monastères de dons et de demandes de prières. Aux conciles (à l'initiative du tsar) de 1547 et 1549 furent canonisés un quarantaine de grands saints russes, certaines fêtes dévolues à des icônes saints dansles régions devinrent des fêtes nationales (comme cellede la Vierge du Signe). Mais cela ne suffisait pas au tsar qui en 1551convoqua un Concile Ecclésiastique en présence des boyardset des hauts dignitaires. Ce concile est bien connu des iconographes sous le terme des "Cent chapitres" (Stoglav). Il donnait en effet notamment les bases des canons de l'iconographie proprement russe, détachée des règles byzantines. Ce concile répondait également à une quarantaine de questions posées par Yvan, qui souhaitait voir se "moraliser" la tenue des monastères, des écoles théologiques et de l'Eglise en général. L'assemblée répondra point par point aux questions du tsar dont entre autre celle-ci : "Peut-on regarder comme chrétiens, les hommes qui rasent leur tête, se coupent la barbe, les moustaches?". Malgré les envies d'Yvan d'imposer des restrictions à la richesse et aux profits des monastères, la majoritédes évêques s'opposèrent à la sécularisation des biens de l'Eglise. Le tsar réussit néanmoins à faire interdire la perception d'intérêts sur les prêts financiers, l'acquisition de terres. A noter qu'un des "chapitres" définissait la manière de faire le signe de croix : les trois doigts (pouce, index et médius) repliés représentant la Sainte Trinité en une seule Divinité. Cette règle sera respectée scrupuleusement par les razkolniki (Vieux-croyants) et sera la source d'un schisme sanglant au XVIIe et XVIIIe siècles. La Culture Le XVIe siècle européen est synonyme de développement de la littérature, des beaux-arts et de la musique. En Russie on ignore même ce qu'est toucher un livre! On sait par un inventaire de succession qu'une des plus grandes familles de l'époque ne dénombre que 86 ouvrages imprimés. Quand aux beaux-arts et au chant, ils sont condamnés à ne s'excercer que dans le cadre de la vie religieuse. Pourtant prudemment quelques essais de "portraits laïques", les persunas inspirés de la technique des icônes, sont effectués mais on n'en retrouve que peu d'exemples de nos jours. Les timides progrès de la littérature (laïque et religieuse) font la fortune des copistes et des scribes, mais également des peintres de miniatures. | | De nombreux historiens pensent que cet isolement russe aété volontaire de la part des pays européens. Les allemands auraient ainsi empêcher des typographes de se rendre auprès d'Yvan IV. Il faut attendre les années 1550 pour voir s'ouvrir à Moscou le premier atelier de typographie. Trois imprimeurs dont Yvan Fedorov seront formés par les danois. Malheureusement le livre est considéré comme "oeuvre du Diable" et les émeutes déclenchées à la moindre parution par la jalousie des scribes, forcent Fédorov à s'installer d'abord en Biélorussie, puis en Ukraine, avant de fuir définitivement le territoire russe. Mais le tsar continue dans sa vision moderne et impose d'autres imprimeries. Petit à petit les livres vont se répandre en Russie et on pourra dire qu'Yvan aura fait au moins une bonne chose dans sa vie! Ci-contre : Yvan IV visitant l'atelier d'Yvan Fédorov | | Le bilan de ce long règne est étonnant car, si les actions semblent incohérentes, si les mises en oeuvre furent anarchiques et surtout sanglantes, si les conséquences de certaines décisions furent parfois catastrophiques (comme la fuite des paysans vers les frontières), il n'en demeure pas moins qu'Yvan réussit à unir le peuple russe dans un même esprit national. Il construisit un pouvoir fort autocratique sur les ruines des apanages désunis, arriérés, et dégradés par le joug mongol. Citons pour conclure, Nicholas Riasanovsky : " Sa vie était une étrange alternance de débauches, d'extrême cruauté, et de moments de repentir, de blasphèmes etde prières."Un autre historien, Karamzine, constatait auXIXe : "L'Histoire est plus rancunière que le peuple." En effet ce tsar sanguinaire et fou, connut un destin dehéros auprès du peuple russe qui lui donna laplace d'honneur à travers ses chants populaires et ses légendes. Peut-être était-ce en remerciement pour avoir fait construire à proximité du Kremlin, le premier Kabak (mot d'origine Tatar) : sorte d'auberge où on ne vend que dela vodka… | | Ermak et ses cosaques Dessin de Vassili Sourikov Uniformes des Streltsy Casque du tsarévitch Yvan Yvanovitch (fils d'Yvan IV) Saint-Basile Extraits du Concile de 1551 A propos des iconographes Dans la ville souveraine de Moscou, dans toutes les villes, le métropolite, les archevêques, les évêques surveilleront l'exercice du culte, et surtout les saintes icônes et les peintres d'icônes, et s'assureront que tout est conforme aux règles sacrées. Ils détermineront les obligations des peintres d'icônes, diront suivant quelles règles ils doivent figurer la représentation charnelle de Dieu notre Seigneur, de Jésus Christ notre Sauveur, de sa très chaste Mère, des puissances célestes, de tous les saints qui, de tout temps, ont su complaire à Dieu. LE PEINTRE Le peintre doit être plein d'humilité, dedouceur, de piété : il fuira les propos futiles, les railleries. Son caractère sera pacifique, il ignorera l'envie. Il ne boira pas, ne pillera pas, ne volera pas. Surtout il observera avec une scrupuleuse attention la pureté spirituelle et corporelle. S'il ne peut vivre dans la chasteté jusqu'à la fin, il se mariera selon la loi et prendra femme. Il fera de fréquentes visites à ses pères spirituels, les informera de toute sa conduite, jeûnera et priera d'après leurs instructions et leurs leçons, aura des múurs pures et chastes, ignorera l'impudence et le désordre. [...] Si ces peintres, nos contemporains, vivent fidèles aux instructions qu'on leur a données, s'ils accomplissent avec soin cette úuvreagréable à Dieu, ils seront récompensés parle Tsar ; les prélats veilleront sur eux et leur témoignerontplus de respect qu'aux gens du commun. ENSEIGNANTS ET ELEVES Ces peintres prendront des élèves, les surveilleront, leur enseigneront la piété et la pureté, et les conduiront chez leurs pères spirituels. Ceux-ci leur apprendront, selon le règlement qu'ils tiennent de leurs évêques, quelle vie, exempte d'impudence et de désordre, convient à un chrétien. Que les élèves suivent avec attention les leçons de leurs maîtres. Si un élève, par la grâce de Dieu, révèle des dispositionsartistiques, le maître le conduit chez l'évêque. Celui-ci examine l'icône peinte par l'élève, voit si elle reproduit l'image vraie et la ressemblance, fait une enquêteapprofondie sur son existence, s'informe s'il mène une vie pureet pieuse, selon les règles, exempte de tout désordre.Il le bénit ensuite, l'invite à vivre désormaisdans la piété, à pratiquer sa sainte professionavec un zèle infatigable, et lui donne les marques d'honneur qu'il accorde à son maître, qu'il refuse aux gens d'humblecondition. Ensuite l'évêque avertit le peintre qu'il nedoit favoriser ni son frère, ni son fils, ni ses proches. |